L'alexie périphérique
L'alexie avec hémianopsie
Il s'agit du type le plus courant de troubles acquis de la lecture d'origine périphérique (Schuett et coll., 2008) et l'un de ceux dont la réadaptation est fondée sur les bases scientifiques les plus solides. Le point de vue habituel concernant ce trouble est qu'il est causé par une perte du champ visuel à la suite de l'atteinte du cortex visuel primaire. La figure 1E montre une représentation graphique du champ visuel caractéristique du patient présentant une alexie avec hémianopsie. Si la perte du champ visuel empiète sur une région située suffisamment près du point de fixation, le lecteur se verra amputé d'une importante partie de l'information visuelle dont il a besoin pour planifier et orienter ses saccades de lecture (Leff et coll. , 2000, McDonald et coll. , 2006, Rayner et McConkie, 1976, Zihl, 1995). Le patient caractéristique se plaindra de sa lenteur de lecture, mais il est capable de lire normalement ou presque les mots de façon individuelle. Ces patients peuvent prendre plus de temps pour lire les mots plus longs qui ne peut être perçu dans leur champ visuel résiduel (Pflugshaupt et coll., 2009). Le côté où se situe le déficit du champ visuel et l'ampleur de l'atteinte influencent considérablement le rendement en lecture. Les lecteurs de langue française et d'autres langues s'écrivant de gauche à droite sont plus susceptibles d'être touchés par des déficits homonymes du champ visuel droit (Zihl 1995) et vice versa pour les textes écrits dans des langues s'écrivant dans la direction opposée, soit par exemple l'hébreu et le farsi (Pollatsek et coll., 1981). La gravité du trouble de lecture est également inversement proportionnelle au nombre de degrés d'angle visuel à la droite du point de fixation. Les patients qui ne présentent qu'un seul degré d'angle visuel ont un déficit de lecture deux fois plus lent que ceux qui présentent trois degrés et quatre fois plus lent que ceux qui ont cinq degrés d'angle visuel. Ce dernier groupe présentent des taux de lecture à peu près normaux (Pflugshaupt et coll., 2009, Zihl, 1995).
Les patients qui ont une alexie avec hémianopsie présentent des schémas de mouvements oculaires anormaux lors de la lecture (la figure 1C montre un balayage caractéristique lors de la lecture d'un texte). On a démontré que le déficit du champ visuel cause des anomalies fonctionnelles dans les aires cérébrales au-delà de l'endroit où se trouve la lésion responsable du déficit, comme dans les cortex pariétal et frontal qui sont à l'origine de la production et du maintien des trajectoires de balayage visuel (Leff et coll., 2001). Une étude au moyen de la tomographie par émission de positrons a permis de démontrer que les patients présentant une alexie avec hémianopsie ne montrent aucun signe d'activité normale au niveau du champ visuel frontal de l'œil droit lors de la lecture de rangées de mots, malgré le fait qu'ils effectuent beaucoup plus de saccades que les sujets normaux. Les groupes témoins ou les patients présentant une hémianopsie n'étant pas à l'origine de leur alexie avec hémianopsie présentaient une activité cérébrale normale dans cette aire lors de la lecture de rangées de mots (Leff et coll., 2000). Certains ont affirmé que ce trouble pourrait être plus grave et se prolonger à plus long terme en présence de dommage concomitant aux connexions entre le cortex visuel et les aires cérébrales qui sont responsables des mouvements oculaires et de l'attention visuo-spatiale (Schuett, 2009, Schuett et coll., 2008)[a]
Étant donné que l'alexie avec hémianopsie est caractérisée par des saccades de lecture mal ex.écutées consécutives à l'altération du champ visuel, on constate deux cibles évidentes de réadaptation : le champ visuel proprement dit et le système visuomoteur. Il semble que la fonction visuelle peut être restaurée dans une certaine mesure après avoir été altérée par des lésions rétrochiasmatiques. Étant donné que la gravité de l'hémianopsie est étroitement liée à l'étendue de l'atteinte du champ visuel, il s'ensuit que la restauration du champ visuel constitue une excellente cible pour la thérapie. Malheureusement, les données actuelles laissent entendre que le traitement du champ visuel n'entraine qu'une restitution partielle du champ visuel altéré, accompagnée dans certaines régions restituées du champ visuel d'une qualité de vision qui n'est pas suffisamment élevée pour soutenir la lecture normale. La lecture nécessite une acuité visuelle élevée (ce n'est pas par hasard que l'examen d'acuité visuelle le plus répandu, l'échelle de Snellen, emploie des lettres). Alors, quoi que ce soit d'autre qu'une restitution complète du champ visuel endommagé n'apportera aucun gain utile dans les comportements de lecture. (Veuillez consulter les écrits de Schofield et Leff (2009) pour obtenir une analyse de ces traitements.) C'est pourquoi la rééducation des mouvements oculaires semble une approche prometteuse. Plusieurs études d'une très grande qualité ont été effectuées à ce sujet et la bonne nouvelle est que ces programmes thérapeutiques semblent efficaces. Bien qu'ils ne permettent pas de retrouver une vitesse de lecture normale, l'ampleur de l'effet est une impressionnante amélioration de 20 à 80 % par rapport à la vitesse de lecture initiale. Les thérapies ont généré des améliorations appréciables au cours de périodes d'entrainement ciblé de 7 à 20 heures (Schuett, 2009a), ce qui est relativement court comparativement à l'entrainement visuel ciblant l'amélioration de la vision aveugle (Huxlin et coll., 2009, Sahraie et coll., 2006).
Les premières études thérapeutiques datant de 1992 employaient la lecture de texte en mouvement afin de rééduquer les mouvementas oculaires engagés lors de la lecture. Le texte défilait horizontalement, de gauche à droite, à une vitesse déterminée par l'utilisateur et le lecteur s'exerçait à lire à voix haute (Kerkhoff et coll., 1992, Zihl, 1995) sous la supervision d'un thérapeute. Ce type de présentation de texte en bandeau défilant induit un réflexe oculomoteur appelé le nystagmus optocinétique à champ réduit (small-field optokinetic nystagmus). Le défilement du texte fait en sorte d'accélérer la vitesse normale de lecture d'une personne (à tout le moins celle du texte animé) (Kang et Muter, 1989). Le défilement du texte accroit également la vitesse de lecture des patients présentant une hémianopsie, probablement par le biais des mêmes mécanismes. Cependant, lorsque les patients retournent au texte statique (normal), cette vitesse de lecture accrue persiste. La raison de ce phénomène reste imprécise, bien que les saccades oculaires induites automatiquement soient toujours orientées dans la même direction que les saccades anormales observées au cours de la lecture d'un texte normal (de gauche à droite). Une étude a récemment employé cette technique dans le cadre d'une thérapie à distance (on a fait parvenir des enregistrements vidéo aux patients qui contenaient des documents de réadaptation) auprès d'un groupe de patients présentant une grave alexie. Cette étude constituait le premier essai clinique comparatif de ce type de thérapie, comprenant une période de thérapie « fictive » (d'un côté, la moitié des patients s'exerçaient à des jeux de différences plutôt qu'à la lecture de texte défilant). Les effets bénéfiques de cette technique rapportés auparavant ont donc été confirmés (Spitzyna et coll., 2007). Une étude plus récente a démontré que d'autres formes de rééducation visuomotrice n'ayant recours ni au texte animé, ni à des mots, avaient également un effet bénéfique (Schuett et coll., 2008). En revanche, ce ne sont pas toutes les thérapies qui ont des effets semblables. En effet, une autre étude a démontré que l'entrainement visuel comportant des tâches de recherche visuelle comme les jeux de différences employés dans l'étude de Spitzyna et ses collaborateurs n'ont pas d'effets résiduels et n'améliorent pas les saccades de lecture (Schuett et coll., 2009b). Cette conclusion laisse entendre qu'un traitement de réadaptation efficace doit faire en sorte d'induire les mêmes saccades de petite amplitude nécessaire à la lecture linéaire, plutôt que les saccades de plus grande amplitude requises par les tâches de recherche visuelle.
On a avancé que la rééducation visuomotrice est plus efficace en présence d'un thérapeute qui supervise l'utilisation du matériel et guide le patient présentant une alexie avec hémianopsie tout au long de la thérapie (Schuett, 2009a). Cependant, en raison de la fréquence de ce trouble, la dispersion des patients atteints de ce syndrome et le manque de services coordonnés destinés aux patients ayant une hémianopsie (à tout le moins au Royaume-Uni), ce n'est pas toujours possible. Étant donné la simplicité du matériel thérapeutique, il apparait raisonnable de se servir du Web pour administrer cette thérapie. Les auteurs du présent article ont récemment publié un site Web où les patients atteints d'alexie avec hémianopsie peuvent mettre à l'essai leur champ visuel, leur vitesse de lecture et accéder gratuitement à du matériel de réadaptation (texte défilant) : http://www.readright.ucl.ac.uk/
L'alexie pure et globale
L'alexie pure fut la première forme d'alexie périphérique décrite (Dejerine, 1892) et elle est considérée comme la forme archétypale (Bub, 2003, Coslett, 2000, McCarthy et Warrington, 1990). Les patients peuvent généralement reconnaitre (et nommer) les lettres de façon individuelle, mais ont de la difficulté à lire les mots isolés (Behrmann et coll., 1998, Behrmann et coll., 2001). D'autres fonctions du langage sont généralement considérées comme étant normales ou presque normales. Malgré le fait que ce déficit soit le point de mire de nombreuses études, il n'a pas encore fait l'objet d'un consensus tant au niveau psychologique qu'anatomique, bien qu'il soit évident que le gyrus fusiforme dominant (gauche) ait un rôle déterminant à jouer (Binder et Mohr, 1992, Gaillard et coll., 2006). Les données probantes indiquent de plus en plus que ce syndrome pourrait ne pas être aussi « pur » qu'on l'avait cru : il s'avère que ces patients présentent habituellement des difficultés dans le traitement des chiffres ou de stimuli de nature non linguistique (Behrmann et coll., 1998, Starrfelt et coll., 2009). Les patients atteints d'alexie pure peuvent lire, mais éprouvent de la difficulté lorsque les mots sont plus longs : il s'agit du fameux « effet de la longueur des mots ». Cet effet indique que lorsque les patients lisent, ils:
- décomposent les mots en lettres;
- identifient ces lettres, puis;
- ré-assemblent les lettres d'une manière séquentielle laborieuse, c'est-à-dire qu'ils « lisent » le mot en l'épelant à l'envers
On a nommé ce processus la lecture lettre par lettre et ce terme est devenu synonyme d'alexie pure. En effet, on appelle parfois ces patients des lecteurs « lettre par lettre ». Les auteurs estiment qu'il s'agit d'une erreur, car cet appellation fait en sorte d'associer la stratégie de lecture au déficit sous-jacent, alors qu'il devrait être réservé seulement aux patients atteints d'alexie pure qui utilisent effectivement cette stratégie pour faciliter leur lecture. Dans la littérature, on décrit beaucoup de patients qui lisent trop rapidement pour employer une telle stratégie (Leff et coll., 2001). Il y a également bon nombre de données prouvant que des patients atteints d'alexie pure ont en effet des problèmes à identifier les lettres, en particulier celles qui sont semblables visuellement (ex. : i, l, j) (Fiset et coll., 2005, Fiset et coll., 2006). Dans les formes les plus graves de cette pathologie, les patients sont influencés par un effet de longueur des mots de plusieurs secondes pour chaque lettre ajoutée (Leff et coll., 2001). L'alexie pure se confond alors avec l'alexie globale. Les patients atteints de la forme globale ne peuvent soit reconnaitre aucune lettre ou commettre de nombreuses erreurs en tentant de les nommer, malgré le fait qu'ils soient encore capables de les écrire de façon normale ou à peu près normale et qu'ils soient plus susceptibles de présenter d'autres déficits langagiers. Les formes centrales et périphériques de l'alexie peuvent alors être difficiles à distinguer. Ces patients présentent habituellement des lésions plus importantes, y compris au niveau du gyrus fusiforme et de la substance blanche du lobe occipital (Binder et Mohr, 1992). L'alexie globale est la forme la plus grave d'alexie périphérique: il n'existe aucun document relatant la réadaptation réussie d'un patient.
Beaucoup d'efforts de réadaptation ont été tentés auprès de patients atteints d'alexie pure, mais comme cette affection est considérablement plus rare que l'alexie avec hémianopsie, on a tendance à effectuer des études sur les patients qui en sont atteints de façon individuelle ou en petites cohortes. Aucune étude à répartition aléatoire sur le traitement de ce trouble n'a encore été effectuée. La méthode la plus simple qui est employée est probablement le recours à des études de masse au moyen de stimuli conçus pour « stimuler » le système endommagé. Dans le cas présent, il s'agit de demander aux patients de lire plusieurs fois un corpus de mots à haute voix. De récents exposés de cas montrent que cette thérapie pourrait avoir un véritable impact, quoique modeste: l'amélioration de l'effet de la longueur des mots chez les patients et aucun compromis quant à la vitesse par rapport à l'exactitude de la lecture (Ablinger et Domahs, 2009, Beeson et coll., 2005).
Une autre approche utilisée pour la réadaptation de l'alexie pure est le recours à une thérapie de modalités croisées, comme la thérapie kinesthésique ou thérapie par modalités sensorimotrices croisées (motor cross-cuing therapy) par laquelle les patients s'exercent à tracer les lettres d'un mot dans leurs mains tout en les lisant à haute voix (Lott et coll., 1994). Plusieurs rapports de cas indiquant une incidence largement positive de ce traitement ont été publiés, dont le plus récent employait un petit lexique de mots (Sage et coll., 2005). Cette approche pourrait convenir davantage aux patients qui se situent à l'extrémité la plus lente du spectre de lecture.
L'alexie par négligence
Le schéma le plus courant d'erreurs observé dans l'alexie par négligence est lié aux préfixes, qui sont soit omis ou substitués (par exemple, /bon/ lu comme étant « on » ou /bas/ est lu comme le mot « cas »). Les patients atteints d'alexie par négligence présentent habituellement une atteinte au lobe pariétal droit et des signes de la présence d'un syndrome plus général de négligence visuo-spatiale, bien que ceux-ci puissent être dissociés (Costello et Warrington, 1987). Une étude de cohortes auprès de deux groupes atteints de négligence a montré que lorsqu'on compare les patients atteints du syndrome de négligence et d'alexie par négligence aux patients qui sont atteints seulement du syndrome de négligence, on constate que la lésion s'étend davantage dans la région ventrale du lobe temporal non dominant (Lee et coll., 2009). L'usage thérapeutique de verres à prisme pour induire l'adaptation visuo-spatiale peut s'avérer utile. Une étude sur la thérapie au moyen de verres à prismes auprès de huit patients atteints d'alexie par négligence a montré qu'une fois que les premières fixations des patients en thérapie sont déplacées vers la gauche du mot (le côté négligé), les réponses de lecture exactes se sont améliorées du tiers (soit de 45 % à 60 %) (Angeli et coll., 2004). Les auteurs de cette étude n'ont toutefois pas indiqué la durée de l'effet obtenu suivant la période de réadaptation. En revanche, une analyse de l'adaptation de la négligence visuo-spatiale généralisée au moyen des verres à prismes laisse entrevoir que les effets peuvent durer des heures, voire plusieurs semaines (Redding et Wallace, 2006), ce qui signifie que les sujets pourraient devoir remettre leur thérapie de réadaptation à niveau de temps à autre.
L'alexie attentionnelle
Les patients atteints d'alexie attentionnelle se plaignent du chevauchement ou de la migration des lettres lors de la lecture, qui comporte parfois l'amalgame d'éléments de deux mots en un seul. La lésion responsable de ce trouble touche habituellement le lobe pariétal gauche (Warrington et coll., 1993). Les patients ont un meilleur rendement de lecture lorsque des mots-stimuli sont présentés de façon isolée plutôt qu'accolés à d'autres mots ou lettres. Le recours à un grand miroir grossissant pourrait également s'avérer utile, car cela réduit les effets d'interférence produits par les mots se trouvant à proximité. Par contre, aucune étude de cette technique ou d'autres thérapies concernant le syndrome pariétal gauche n'ont été publiées à ce jour.