L'alexie centrale

Les patients atteints de ce type d'alexie présentent un trouble généralisé du langage, c'est-à-dire qu'ils sont à la fois alexiques et aphasiques. Le terme employé par Dejerine pour désigner cette forme d'alexie acquise, et encore en usage aujourd'hui particulièrement chez les neurologues, est l'alexie avec agraphie (il désignait l'alexie pure comme étant l'alexie sans agraphie) (Dejerine, 1892). Au cours des phases aigues et post-aigues, ces patients ainsi que leurs thérapeutes sont souvent préoccupés d'emblée par les déficits de perception auditive de la parole ou de production de mots, avec l'alexie et son traitement en arrière plan. Ceci est parfaitement compréhensible étant donné que pour la plupart des personnes, la capacité de parler est plus importante sur le plan social que celle de lire. Si l'alexie persiste jusqu'à la phase chronique, toutefois, les patients se plaindront autant de leur alexie que des autres troubles du langage dont ils sont atteints. Malheureusement, les fondements scientifiques expliquant comment traiter l'alexie centrale sont peu concluants. Les différents types d'alexie centrale sont classés selon le schéma dominant de paralexies effectuées lors de la lecture de mots à voix haute (les sous-types d'alexie centrale sont abordés dans les paragraphes qui suivent). Selon l'expérience des auteurs, ces classifications peuvent parfois se chevaucher : les cas d'alexie pure dans lesquels le patient ne commet qu'un seul type de paralexies sont rares. De plus, certains schémas de paralexies ne constituent pas un syndrome en soi, et ce, même s'ils sont fréquents, comme les paralexies sémantiques et les persévérations.

L'alexie phonologique

Les patients atteints d'alexie phonologique arrivent à lire des mots courants (réguliers ou irréguliers) grâce aux représentations lexicales qui sont préservées, la soi-disant voie « directe » vers la lecture. Toutefois, étant donné que ceux-ci se fient en grande partie sur sa connaissance de formes de mots existantes, ils n'arrivent souvent pas à lire les mots nouveaux et les non-mots conventionnels ou prononçables (par exemple /mune/) (Tree, 2008). On dit qu'ils sont atteint d'alexie phonologique parce qu'ils utilisent la voie indirecte ou l'épellation au son (phonologique) pour lire. Lorsqu'ils effectuent la lecture de mots véritables, des facteurs comme l'effet de concrétude (par exemple, les noms sont plus concrets que les verbes) l'effet de fréquence (fréquence élevée : le fait qu'on l'ait souvent vu ou entendu) influencent leur rendement. Le traitement peut donc être axé sur une modalité sous-lexicale (correspondances entre graphèmes et phonèmes), une modalité lexicale (lecture de mots entiers) ou les deux à la fois. Les thérapies par voie sous-lexicale visent habituellement des composantes d'un « mot-clé » pour donner naissance à une correspondance graphème-phonème, puis des exemples de mots sont utilisés pour renforcer cette association. Une autre approche consiste à apparier des mots complexes, comme des mots fonctionnels et des verbes à des homophones (ex. : « est » et « haie » (Friedman et coll., 1993), ou à des mots qui ont en commun le même phonème initial (« par » et « patte ») (Lott et coll., 2008). Cette approche a permis d'obtenir des résultats positifs. En revanche, le traitement lexical comporte habituellement l'exercice de la production de la parole à partir de stimuli manuscrits, tant au niveau du mot individuel qu'au niveau de groupes de mots. Dans une étude récente auprès d'un patient atteint d'alexie phonologique, on a eu recours à une technique appelée « relecture orale multiple » (multiple oral rereading). Elle fait en sorte d'améliorer à la fois la lecture de textes connus et nouveaux, avec une augmentation de la vitesse de lecture dans le second cas de 34 mots/min. à 44 mots/min. (Cherney, 2004). Fait intéressant, la compréhension du texte s'est également améliorée suite à la thérapie.

L'alexie profonde

L'alexie profonde présente toutes les caractéristiques de la dyslexie phonologique, mais, en plus, les patients commettent de nombreuses paralexies sémantiques (par exemple, lire /lac/ et dire « étang ») (Crutch et Warrington, 2007) et éprouvent des problèmes particuliers sur le plan des mots fonctionnels, même avec des mots très courants comme /et/ ou /de/ (Jones, 1985). Ces effets sont saisissants: un patient peut lire /départ/ comme étant « arrivée » et ne pas être capable de lire le mot « de ». Certains auteurs considèrent l'alexie profonde comme une version plus grave de l'alexie phonologique et on a souvent recours à des approches thérapeutiques similaires pour traiter les deux troubles, bien que la plupart des études à ce sujet se concentrent davantage sur l'alexie profonde. Dans une étude récente, un patient a été entrainé à se servir d'une méthode d'appariement digraphe-syllabe (par exemple, pa - /pae/) et a vu son rendement de lecture s'améliorer. L'amélioration était particulièrement perceptible lorsqu'il lisait des mots abstraits, peut-être parce que l'entrainement lui a permis d'employer des indices phonémiques lorsqu'il y avait peu d'information sémantique à sa disposition (Kim et Beaudoin-Parsons, 2007). L'appariement de mots à des images dans le but de renforcer l'accès à la sémantique d'un mot semble également améliorer la lecture. Une étude récente a montré une amélioration de 80 % en faveur des éléments travaillés par rapport aux éléments non travaillés chez un patient atteint d'alexie profonde (Ska et coll., 2003).

Une autre approche utilisée est la stimulation multimodale à répétition (Cherney, 2004) ou l'appariement de séquences de sortie ou de séquences d'entrée (thérapie par modalités croisées). Dans un exemple, le patient lit de façon répétée des phrases issues de scénarios le touchant personnellement et essaie d'écrire un sous-ensemble de mots provenant des mêmes scénarios (Orjada et Beeson, 2005). Cette technique a produit un effet assez remarquable: le patient a amélioré sa vitesse de lecture de départ qui est passée de 23 mots/min. à 60 mots/min. et a généralisé ses acquis à des éléments qui n'avaient pas été travaillés. Dans une autre étude, deux patients ont été traité au moyen d'une approche semblable en se concentrant sur un lexique de 40 mots. Les deux patients ont présenté des gains importants quant aux éléments travaillés, mais un peu moins de généralisation quant aux éléments non travaillés (Beeson et coll., 2005).

L'alexie de surface

L'alexie de surface est l'inverse de l'alexie phonologique. La voie d'adressage phonologique est ici préservée (permettant aux patients de lire les non-mots), mais la voie directe est atteinte, ce qui entraine des problèmes de lecture de mots irréguliers, comme « colonel » qui est prononcé « col-on-el ». Le traitement de ce trouble s'effectue habituellement par la rééducation de la reconnaissance orthographique de mots spécifiques, en demandant au sujet d'apparier le mot écrit à l'information sémantique lui correspondant (une image ou une définition du mot) afin d'améliorer l'accès à la forme lexico-sémantique de la lecture (Behrmann et Byng, 1992, Byng et Coltheart, 1988). Les mots qui ont une pertinence particulière pour le patient sont habituellement choisis, car il est n'est pas susceptible de généraliser ses acquis aux mots auxquels il n'a pas été entrainé.