Agroalimenta…
Agroalimentaire 
Petit... Mais costaud !
Mal au ventre - transfert à l’hôpital : Ablation en urgence d’un tiers du côlon, réanimation. Complication avec une péritonite et nouvelle opération. Morphine puis convalescence interminable... En tout, cinq mois de souffrance, et le sentiment troublant d’avoir échappé in extremis à la mort... En fin de compte, c’était juste un anisakis qui passait par là... Pas grandchose, autant dire : un filament laiteux de 3 à 4 centimètres de long, un minuscule vermicelle gigotant, sans queue ni tête apparemment, mais capable d’envoyer ad patres et sans avertissement le plus costaud des fiers-à-bras.
Ce n’est pas par méchanceté, notez bien... Simplement, lorsqu’il pénètre dans le système digestif d’un être humain, ce petit parasite du poisson s’y sent d’emblée mal à l’aise. Nos acides gastriques entreprennent de lui asticoter la couenne et il n’aime pas ça. Et comme objectivement, il n’a rien à faire là, pour s’échapper, il attaque la paroi de l’estomac, de l’intestin grêle ou, plus rarement, du côlon. Il les asperge d’enzymes, et en moins de six heures, la perforation est là.
A ce stade, les choses sont simples. Ou bien on a un chirurgien sous la main, et l’on s’en tire tant bien que mal. Ou bien on a personne, et c’est la mort assurée, par septicémie ou occlusion (dans d’atroces souffrances, précisent les médecins...)
Bien. Les présentations étant terminées, nous pouvons passer maintenant aux travaux pratiques de parasitologie...
Le matériel est facile à réunir : un couteau de cuisine, une planche à découper, et quatre ou cinq beaux harengs que l’on aura achetés en grande surface ou dans la meilleure poissonnerie du quartier, peu importe. Il suffit d’ouvrir les yeux en grand et les poissons en deux. A l’intérieur (des poissons), on repérera presque à coup sûr trois, quatre, parfois jusqu’à dix filaments entortillés en spirales de 2 à 3 millimètres de diamètre, généralement installés à la limite des filets et de l’appareil digestif.
Les prendre sur le couteau pour les observer : oui.
Les manger pour tester leur goût : non ! Ce sont des anisakis.
Avant de retourner dans votre poissonnerie incendier le commerçant, commencer par lire ce qui suit... Plus de 85% des harengs en sont infestés. Près de 35% des maquereaux, 80% des rougets grondins, 70% des merlans, 90% des merlus. C’est dire que peu de poissons courants lui résiste !
Le ver perceur loge aussi dans à peu près une morue (ou cabillaud) sur dix. On en découvre dans le saumon sauvage, la julienne, le lieu noir, la lotte et quantité d’autres espèces de mer. En somme, il y en a quasiment partout, sauf (ce n’est toutefois pas garanti à 100%, préviennent les experts) dans les poissons d’élevage.
S’il est aussi courant que cela, pourquoi donc ce petit tueur ne nous règle-t-il pas notre compte à tous une fois pour toutes ?
Très simple : parce qu’il ne supporte pas la chaleur... Et que, le plus souvent, nous faisons cuire le poisson avant de le déguster. Selon la direction générale de l’alimentation (DGAL), le nombre de pathologies graves avérées - certains laboratoires n’étant pas compétents pour les détecter, il est possible qu’on ne les ait pas toutes diagnostiquées ne dépasserait pas une petite dizaine par an en France. A quoi il faut sans doute ajouter des milliers d’infections bénignes jamais élucidées, mal au ventre, diarrhées, vomissements ou poussées d’urticaire chroniques, mini ravages d’un anisakis affaibli et vite évacué par les voies naturelles...
« Il ne faut pas affoler les gens » tempère le docteur Petithory, un des meilleurs spécialistes français du fléau. A sa connaissance, ce parasite n’a encore tué personne dans notre pays. Pas encore, non. Mais un petit coup d’œil vers le pays du Soleil-Levant suffit à donner le frisson. Là-bas, le vermisseau assassin occupe à lui seul une armada de chirurgiens (plus de 3 000 opérations sont recensées par an), et provoquerait chaque année la mort de plusieurs dizaines de personnes. Les Japonais raffolent du poisson cru : leurs estomacs en paient le prix au comptant. L’ennui, c’est que la mode nippone a tendance à gagner ce côté-ci des océans : une marée de restaurants de sushis a submergé nos cités, les hypers en proposent des assortiments, les tables bien de chez nous se mettent elles-mêmes aux tartares de poisson et autres carpaccios de la mer.
Des mesures de protection encore mal appliquées
Inquiète de cette ruée, la DGAL a discrètement lancé il y a quelques mois une campagne auprès des professionnels pour leur faire prendre conscience du danger. Et les pousser à appliquer avec un peu plus de zèle les directives sanitaires adoptées par Bruxelles au début des années 90 pour faire barrage à l’anisakis : contrôle visuel des poissons dans les criées par les inspecteurs vétérinaires, congélation d’office des maquereaux, harengs, sprats et saumons sauvages de l’Atlantique et du Pacifique promis au fumage, au salage ou au marinage, ainsi que de toutes les espèces devant être consommées crues (après 24 heures à - 20 °C, le chenapan finit par rendre les armes) passage systématique à la « table de mirage », sorte de projecteur permettant de détecter les tortillons mortels, de tous les poissons vendus en filets.
Sans doute ces mesures de précaution, bien qu’appliquées pour le moment de façon souple, contribuent-elles à éviter le pire. Les harengs saurs, saumons fumés, rollmops ou sushis qu’on trouve tout emballés en supermarché, comme ceux servis dans les restaurants japonais, sont en général sains.
En revanche, la protection du consommateur reste illusoire pour le poisson frais, comme on l’a vu avec notre expérience. Avis aux amateurs de mets océaniques authentiques ! Commander l’après-midi à sa poissonnerie favorite une demi-morue premier choix, un gros merlan sorti de la mer et du saumon sauvage (surtout pas congelé, ça gâte le goût), pour se bricoler le soir une assiette de sushis très frais, n’est donc pas vraiment une idée judicieuse.
« Franchement, il vaut mieux éviter», prévient-on fermement à la Direction de la concurrence et de la consommation. Dont acte. Bon, on ne va quand même pas se laisser abattre pour si peu. Un petit sashimi maison pour digérer cet article ?