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Pharmacologie 

Le « serendipity » de l’ezetimibe

Où l’on recherche un nouvel inhibiteur de l’ACAT...que l’on ne trouve pas

La découverte de l’ézétimibe s’inscrit dans un programme de recherche initialement consacré aux inhibiteurs de l’ACAT (Acyl-coenzyme A Cholesterol AcylTransferase). Il s’agit d’une enzyme impliquée dans les processus de transfert transcellulaires et intracellulaires du cholestérol au sein de l’organisme, y compris l’absorption intestinale chez les rongeurs.

De nombreux composés ont été développés qui se sont révélés être de puissants inhibiteurs de l’ACAT in vitro, mais leur action in vivo s’est le plus souvent révélée décevante, dans la mesure où elle n’aboutissait à aucun effet significatif sur la cholestérolémie.

L’étude classique des relations structure-activité a alors conduit à la découverte d’une molécule, l’azetidinone. À la différence des autres inhibiteurs de l’ACAT, l’azetidinone, entraînait une baisse rapide des taux plasmatiques du cholestérol dans les modèles animaux d’hypercholestérolémie, essentiellement du fait d’une diminution des taux de substrat libre. En outre, l’azetidinone diminuait l’accumulation du cholestérol estérifié et non estérifié dans la paroi intestinale, sans modifier l’activité de l’ACAT. Les données obtenues tant in vitro qu’en pharmacologie animale suggéraient donc que cette molécule agissait selon des mécanismes bien en amont de l’ACAT.

La recherche de la cible moléculaire de l’azetidinone permet la découverte de l’ézétimibe

Le programme de recherche chimique qui a suivi la découverte de l’azetidinone et de ses dérivés a surtout visé l’identification de la cible moléculaire potentielle à l’origine de cet effet hypocholestérolémiant. Le fait que la molécule subisse un catabolisme exhaustif a quelque peu gêné ces travaux, mais il semblait néanmoins que l’un ou plusieurs des métabolites actifs de la molécule jouaient un rôle significatif dans l’activité in vivo et se localisaient dans la paroi ou la lumière de l’intestin où devait se trouver la cible moléculaire de cette famille de molécules. Un modèle animal de canulation duodénale in vivo avec dérivation biliaire a largement contribué à l’approche de ces phénomènes. La chromatographie liquide à haute performance a permis de démontrer qu’un métabolite phénolique de l’azetidinone était la principale source intestinale de l’activité biologique, tout au moins chez le rat. En plus de l’addition de phénols à la structure moléculaire, d’autres transformations chimiques passaient à l’évidence par des phénomènes d’hydroxylation sélective.

Sur la base de ces observations, s’est mise en place une stratégie chimique qui après l’étude de nombreux métabolites a permis la mise au point d’un composé de deuxième génération qui est l’ézétimibe :

  1. en favorisant l’accès des sites chimiques « avantageux » pour augmenter l’activité, minimiser les taux plasmatiques et favoriser l’accumulation intestinale ;
  2. en inhibant les sites chimiques « non avantageux » pour maximiser l’activité et limiter le métabolisme oxydatif de la molécule.

Par rapport à l’azetidinone, l’ézétimibe ainsi synthétisée a fait preuve d’un effet hypocholestérolémiant plus marqué, notamment chez le singe soumis à un régime enrichi en cholestérol.

Une synergie avec les statines

Chez les animaux soumis à un régime enrichi en cholestérol, l’activité de l’ézétimibe s’est révélée des plus significatives.

Cependant, ce régime contient plus de graisses et de cholestérol que l’alimentation standard de l’animal. De fait, en cas d’apports normaux en cholestérol, l’ézétimibe et les autres dérivés de l’azetidinone ne diminuaient pas les taux plasmatiques de cholestérol chez l’animal de laboratoire. Ce résultat a conduit non à une impasse, mais à émettre une hypothèse physiologique intéressante : l’inhibiteur de l’absorption du cholestérol devait être capable de stimuler l’activité de la HMGCoA réductase et d’augmenter ainsi la synthèse hépatique du cholestérol. Si cette hypothèse s’avérait juste, alors l’association d’un inhibiteur de l’absorption du cholestérol et d’un inhibiteur de la HMGCoA réductase devait aboutir à une diminution significative des taux plasmatiques de cholestérol supérieure à celle obtenue avec la monothérapie par l’ézétimibe.

Cette hypothèse a été vérifiée chez le chien soumis à un régime standard : l’association ézétimibe + statine a permis d’obtenir une baisse marquée de la cholestérolémie, alors que celle-ci variait peu avec l’un ou l’autre de ces médicaments utilisés en monothérapie. Ces résultats qui plaident en faveur d’une synergie d’action entre ces deux familles d’hypocholestérolémiants ont été confirmés dans d’autres espèces animales et avec diverses statines. Ils démontrent clairement l’intrication des deux voies métaboliques qui président au destin du cholestérol dans l’organisme et l’intérêt d’inhiber l’une et l’autre.

La confirmation par la clinique

Les résultats cliniques ont été à la hauteur des espérances nées de l’expérimentation animale, que ce soit en monothérapie ou en association aux statines. Les études de phase II et III ont montré que l’ézétimibe associé à une statine permettait un abaissement supplémentaire du LDL-C de 15 à 18 % par rapport à la statine en monothérapie.

Parallèlement, s’observent une élévation (+ 3 %) du HDL-C et une baisse des triglycérides (-3 à -5 %). Des doses élevées de statines donnent des résultats équivalents à ceux obtenus avec des doses faibles associées à 10 mg d’ézétimibe. La tolérance de l’association ézétimibe + statine est bonne tant sur le plan clinique que biologique. Il en résulte une optimisation de la prise en charge des hypercholestérolémies qui a été reconnue il y a quelques mois par la délivrance d’une AMM américaine et européenne à cette nouvelle molécule.

Les leçons d’une découverte

La découverte de principes actifs nouveaux, passe de plus en plus par des technologies sophistiquées. Celle de l’ézétimibe est une exception en ce sens qu’elle a reposé sur des outils classiques, essentiellement chimiques, un soupçon de hasard et beaucoup d’opiniâtreté. Ce travail acharné des chimistes ne l’a pas empêché d’être réalisée en moins de 6 ans, ce qui est tout à fait comparable à la durée de développement des médicaments issus de la haute technologie biologique.

La recherche de médicaments nouveaux reste une science expérimentale et la découverte de ’ézétimibe en témoigne clairement.