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Le grand smog électromagnétique non ionisant...

Le mobile nous met la puce à l’oreille..

Pourquoi, dès lors, un tel coup de projecteur sur ce risque sanitaire dont la réalité même ne repose sur aucun fait avéré ? Sans doute du fait même de la diffusion fulgurante de cette nouvelle technologie, utilisée aujourd’hui par 1,6 milliard de personnes, mais dont certains effets biologiques potentiels et à long terme souffrent d’un profond déficit de connaissances scientifiques. L’électromagnétisme sous toutes ses formes, naturelles ou créées par l’homme, est pourtant un phénomène qui n’a cessé d’être étudié par les savants et exploité par les ingénieurs, qui en ont tiré une profusion d’applications ne cessant de croître depuis un siècle. Il est, en particulier, à la base du développement galopant des télécommunications.

Traditionnellement la frontière de sécurité des effets des champs magnétiques sur la santé humaine a été fixée à la fameuse démarcation entre les ondes ionisantes et non ionisantes. Les conséquences biologiquement destructrices des fréquences électromagnétiques situées au-delà de la lumière visible – des rayonnements ultraviolets jusqu’aux rayonnements radioactifs – ont été soigneusement identifiées et analysées durant des décennies à travers la discipline scientifique spécifique de la radioprotection. En dépit du danger, celle-ci a permis la maîtrise des applications de la sphère ionisante, tant pour la production de l’ énergie nucléaire que dans le domaine médical – où leur développement a permis des progrès techniques considérables d’imageries et de thérapeutiques sophistiquées.

Mais une question a été singulièrement laissée en friche, à tout le moins jusqu’à il y a une vingtaine d’années : celle des influences sur le corps humain que peut avoir le grand smog électromagnétique non ionisant, diffus, mal contrôlé, aux puissances et fréquences croissantes, qui nous côtoie quotidiennement dans notre environnement domestique, urbain et professionnel.

Le téléphone mobile a sonné l’heure. L’heure de mettre les bouchées doubles pour évaluer les risques éventuels et, au besoin, y parer... Il est temps d’en savoir plus, non seulement sur le petit appareil fréquemment « scotché » à nos oreilles, mais aussi pour tant d’autres nouvelles technologies et toutes les infrastructures qu’elles nécessitent. Ces interrogations interpellent d’ailleurs aussi des installations bien ancrées dans notre environnement, par exemple les lignes de distribution électrique à haute tension dont les riverains subissent la proximité.

Le grand bain électromagnétique

Pendant la quasi-totalité du 20ème siècle, la salubrité des effets des champs électromagnétiques (EM) autres que ceux relevant de la radioactivité n’a guère été analysée. Depuis 30 ans, le ton a changé, et l’on a commencé à s’interroger sur la protection contre les radiations non ionisantes.

Mais de quelles protections faut-il s’armer alors que, jusqu’ici, les scientifiques s’accordent à constater qu’aucune évidence consistante et convaincante des altérations possibles de la santé humaine n’a pu être détectée, malgré la multiplicité des technologies qui accroissent le smog électromagnétique qui nous environne ? Ils reconnaissent cependant que les données, tant au niveau des recherches de laboratoire que de l’épidémiologie et des mesures de l’exposition, sont très incomplètes et insuffisantes pour se prononcer avec certitude.

L’électricité est une réalité invisible, mais bien tangible, qui se laisse transporter par des câbles conducteurs. La lampe s’allume, les moteurs en tous genres démarrent, la plaque de cuisson chauffe, le réfrigérateur refroidit, l’écran de télévision ou d’ordinateur s’éclaire, le téléphone sonne, la secousse électrique provoque une douleur instantanée au maladroit qui touche les fils.

Mais tous ces « courants qui passent » ont aussi, de façon inséparable du champ électrique oscillant leur donnant naissance, une composante cachée, extérieure aux conducteurs eux-mêmes et insensible. Ils provoquent, en effet, la création de champs magnétiques ayant la propriété d’induire, à distance, des polarisations des charges électriques présentes dans leur environnement proche.

Depuis les temps pionniers de la fin du 19ème siècle où cette double réalité fut démontrée par le physicien Maxwell – père fondateur de toute la théorie de l’électricité –, cette conjonction fondamentale du champ électrique, nécessaire pour que le courant circule, et du champs magnétique résultant lorsqu’il transite, est combinée dans la notion unique d’électro

magnétisme.

Le grand spectre commun et universel

Cette clé conceptuelle de l’électromagnétisme rend compte du déplacement de l’énergie, que ce soit dans la matière concrète d’un support conducteur ou dans l’espace immatériel. Elle a non seulement ouvert la porte au formidable essor de la maîtrise par l’ homme des applications de l’électricité mais est devenue en même temps l’un des sésames les plus féconds de la physique moderne.

Elle permit de réaliser que l’univers entier est, en effet, le siège d’une variété inouïe de modes de propagation d’ ondes électromagnétiques oscillantes, qui peuvent se lire sur un gigantesque spectre de fréquence allant de zéro (cas du courant continu ou unidirectionnel) à 1020 hertz.

Cette grille commune et unifiée des phénomènes vibratoires du monde atomique et sub-atomique englobe, dans ses sommets fréquentiels himalayens, le rayonnement cosmique, les phénomènes de la radioactivité (différenciés en rayons gamma et en rayons X), les caractéristiques de la lumière visible et des différentes couleurs qui la composent, sans oublier les immenses zones qui la précèdent et la suivent dans les zones de l’infrarouge et l’ultraviolet.

Et, dans cette continuité, c’est donc tout au bas de l’échelle que s’inscrivent les fréquences des applications électriques et électroniques inventées par l’homme. Celles-ci ont pourtant peu à peu gravi l’échelle des oscillations, à des fins des plus en plus diversifiées.

Le précédent de la radioactivité

En se propageant, les ondes électromagnétiques ont, par leur nature même, une influence électrique sur les atomes composant les objets, inanimés ou vivants, qu’elles rencontrent. On se rendit compte de ce phénomène lorsque les chercheurs pionniers de la première moitié du 20ème siècle commencèrent à se passionner, souvent à leurs dépens, pour les propriétés de la radioactivité dont ils ignoraient encore le pouvoir potentiellement nocif au niveau biologique. Dans cette zone du spectre électromagnétique, le pouvoir de pénétration provoque des ruptures des liens atomiques, avec production d’ions. Sur le plan biologique, ceci se traduit par des altérations profondes de l’ADN. Ce groupe, placé sous haute surveillance, prit le nom de « radiations ionisantes ».

Même si ce pouvoir pouvait être éminemment mortel, il n’en intéressait pas moins beaucoup la science pour les formidables services qu’il pouvait rendre. Durant la première guerre mondiale, à l’arrière des tranchées, Marie Curie mit ainsi toute son énergie à montrer que la radiographie X donnait un moyen sans précédent de « voir » les lésions osseuses des blessés.

Elle fut emportée plus tard par les conséquences des rayonnements auxquels toutes les recherches de sa vie l’avaient exposée. À partir des années 50, avec le développement de l’industrie nucléaire et l’introduction croissante d’applications à caractère radioactif dans la médecine ou d’autres disciplines, toute une science de la radioprotection s’est donc constituée pour étudier les effets des rayonnements ionisants, mettre au point des moyens défensifs les plus efficaces, définir les seuils limites d’ exposition, tout en tirant un parti maximum. Créée en 1965, l’IRPA (Association Internationale de RadioProtection) a commencé à jouer un rôle de forum mondial de confrontation et de dissémination des connaissances et de mise à jour des normes sanitaires de ces familles singulières des ondes ionisantes.

Les nouveaux venus non ionisants

Dix ans plus tard, les responsables scientifiques animant les travaux de l’IRPA se demandèrent si les préoccupations de radioprotection ne méritaient pas d’être étendues à d’autres parties du spectre électromagnétique, de plus en plus sollicitées par les technologies nouvelles – depuis la gamme des très basses fréquences de 50 hertz des réseaux électriques traditionnels à celle des radiofréquences de transmission de plus en plus élargies, jusqu’à l’entrée de la zone des micro-ondes et celle de l’infrarouge. Il existe, en effet, un lien direct entre la fréquence de l’onde et l’ énergie transportée – et donc l’impact potentiel sur la matière.

En 1977, en synergie avec l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE), l’IRPA créa un premier Comité international des rayonnements non ionisants pour étudier et définir les critères d’hygiène relatifs à ces domaines très étendus. En 1992, ce Comité fut détaché de l’Association pour devenir la Commission internationale pour la protection contre les RNI – en initiales anglaises ICNIRP – une instance scientifique indépendante chargée de la coordination mondiale sur ces questions. Ce champ de recherche, resté très ou trop longtemps en friche, a donc commencé à prendre corps, mais en partant de connaissances très limitées.

Le quotidien électrique

À priori, cette tâche de protection attribuée à cette organisation encore fraîchement créée, relève d’un gigantisme qui peut laisser perplexe. Dans la société du « tout électrique » où nous sommes plongés, comment imaginer de s’inquiéter – aucun indice ne le justifierait à ce jour – des innombrables champs électromagnétiques à très basse fréquence induits par la multiplicité des appareils que nous utilisons dans la vie privée ou professionnelle, par les transports électriques, ainsi que par les câblages qui les alimentent. Un consensus très général existe sur la non nocivité de ces champs, dont les mesures d’induction magnétiques et de faible portée dans l’espace doivent respecter des normes fixées à des niveaux très bas.

L’influence des champs est cependant nettement plus étendue et intense lorsque les courants atteignent des valeurs élevées, demandant des normes de distances plus spécifiques. C’est le cas, par exemple, dans certaines applications industrielles hautement énergétiques ou aux points névralgiques des réseaux que sont les centrales, les postes de transformation ou lignes électriques à haute tension. Ces dernières sont, de fait, l’objet d’un débat quant à leurs effets sanitaires potentiels – effets que de récentes recherches tendraient à confirmer.

L’envahissement des ondes

Un autre domaine clé est, par ailleurs, lié au développement des télécommunications. Ici aussi, la mise à profit des capacités de transmission des ondes électromagnétiques ne date pas d’hier. Pendant la première moitié du 20ème siècle, la maîtrise de l’émission et de la réception de ces ondes baptisées hertziennes, dans une gamme de 300 KHz à 300 GHz, a assuré la naissance et le développement de la radiodiffusion, puis de la télévision.

Au fil du temps, cette montée en puissance des télétransmissions « sans fil » s’est aussi affirmée en remontant de plus en plus dans l’élévation dite des « radiofréquences » et en donnant, par exemple, dès la Seconde Guerre mondiale l’invention du radar. Depuis deux décennies, ce croisement incessant de signaux électromagnétiques les plus divers est en train d’ exploser. Avec la multiplication des télécommandes, le WiFi ou le BlueTooth, il a envahi notre quotidien domestique ou professionnel. Nous sommes soumis en permanence à des pluies de faisceaux satellitaires. Dans les magasins ou les lieux de transit de voyages, nous passons de plus en plus souvent devant des installations de sécurité (antivols, contrôles de contenus, etc.) dites à rayonnement EM pulsé.

Le questionnement des mobiles

Mais, sans conteste, le sommet des innovations dans ce domaine est l’arrivée de la téléphonie mobile et son succès foudroyant. Phénomène de société de notre époque, elle s’est étendue à toutes les classes d’âge – à commencer par les plus jeunes – et à toutes les catégories sociales. Opérant à des niveaux d’intensité et de fréquences d’usage courant par rapport à l’environnement électromagnétique dans lequel nous sommes déjà plongés, cette technologie n’a guère soulevé de prime abord de questionnements originaux.

À deux exceptions près, toutefois. D’abord en raison de la mise en place précipitée de l’infrastructure de réseau de transmission, de plus en plus imbriquée au tissu urbain, nécessité par son essor. Au départ, c’est sur ce dernier point que les inquiétudes et les plaintes ont d’abord porté. Les nombreuses études scientifiques menées à ce sujet s’accordent cependant toutes pour conclure que les effets de voisinage de ces installations, bien qu’à surveiller, ne posent pas de risques nouveaux particulièrement inquiétants. Tout au plus s’ajoutentelles à la densité déjà grande des sources rencontrées dans l’environnement, sans constituer un facteur aggravant notoire.

Par ailleurs, par la nature même du modus operandi de son usage, collé au conduit auditif, et donc d’une proximité toute particulière avec les organes primordiaux du cerveau humain, la téléphonie mobile pose cette fois aux scientifiques un problème inédit.

En quelques années, le problème de l’exposition croissante aux champs magnétiques quotidiens a pris une telle ampleur qu’il constitue un domaine d’investigation de plus en plus prioritaire. Face à ce défi, plusieurs recherches européennes ont été mises sur pied depuis quelques années, en particulier dans le domaine du système auditif, de la biologie cellulaire et de l’épidémiologie. Et, depuis 2004, l’Union est dotée d’un réseau scientifique de coordination EMF-NET (Electromagnetic Fields Network), centré sur la sécurité de la téléphonie portable et des autres technologies à incidence électromagnétique. EMF-NET vise à canaliser l’accumulation des résultats scientifiques et à en donner des interprétations aussi fiables qu’indépendantes.

Les oreilles sécurisées

Le système auditif est de toute évidence l’organe humain pour lequel la question de l’effet des radiofréquences de 1a téléphonie mobile se pose en premier lieu. Les recherches approfondies menées de 2002 à 2004 au sein du projet européen Guard (Potential adverse effects of GSM cellular phones on hearing) apportent à cet égard une réponse rassurante. Explication d’un spécialiste biomédical italien, acteur engagé de la prévention du risque dans ce domaine.

Paolo Ravazzani, de l’IIB-CNR (Italie), est spécialisé depuis une vingtaine d’années dans la biomédecine du système auditif. « Dès le départ, mes principaux travaux ont cherché à lier les effets biomédicaux des champs électromagnétiques pour la stimulation du système nerveux avec les applications au système auditif, telles que la modélisation, le traitement des signaux et l’optimisation des appareils audiologiques. Dès lors, dans les années 1996-97, je me suis presque naturellement trouvé en première ligne pour m’intéresser aux questions, encore assez inédites, posées par les premiers téléphones cellulaires. La recherche d’ innovation technologique à des fins médicales et le souci nouveau des effets sur la santé de la téléphonie mobile se sont confondus dans un même intérêt. »

Tests directs sur des volontaires humains

A partir de l’année 2000, Paolo Ravazzani coordonnera le lancement et la mise en oeuvre de Guard, un des premiers et importants projets européens de recherche biomédicale lancé par l’Union lors du cinquième programme-cadre. Des spécialistes français, britanniques, italiens, grecs, lituaniens, hongrois et russes, ont d’abord mené des essais approfondis sur des modèles animaux. Parallèlement, des systèmes élaborés d’enregistrement de mesures et de contrôles ont été mis au point pour mener des tests directs sur les systèmes auditifs de volontaires humains, en particulier en fonction du positionnement des appareils. L’un des thèmes étudiés portait sur la question centrale des effets non thermiques localisés que peut entraîner l’usage intensif des appareils GSM opérant aux fréquences de 900 et 1800 mégahertz.

« Après trois années de recherches, aucun de nos résultats ne permet d’affirmer qu’il y ait la moindre nocivité décelable des téléphones portables actuellement utilisés sur les principales facultés auditives. Mais les retombées de Guard ne s’arrêtent pas là. Nous avons aussi accumulé des procédures d’investigations et des connaissances, qui ouvrent la voie à d’autres types d’exploration des problèmes potentiels, toujours susceptibles d’apparaître à plus long terme. Ainsi, nous recommandons des recherches plus approfondies sur les effets des mobiles sur le système efférent cochléaire. »

Coller à l’évolution technologique

Dans le domaine auditif, lexpertise acquise grâce au projet Guard va se prolonger pour suivre au plus près l’évolution technologique. « Nous pensons que l’avènement actuel de la téléphonie mobile dite de troisième génération [3G/UMTS], qui se caractérise à la fois par une élévation dans la gamme de radiofréquences et par de nouvelles modulations des informations transmises, doit susciter de nouvelles recherches. » Paolo Ravazzani a ainsi pris en main, en décembre 2004, la coordination scientifique du projet européen EMFnEAR, un consortium basé sur les équipes qui ont travaillé dans Guard, auxquelles se sont joints des chercheurs polonais. Et, parallèlement, ce spécialiste biomédical désormais totalement impliqué dans la prévention du risque électromagnétique – et plus particulièrement des dangers potentiels de la téléphonie portable –, est désormais l’animateur principal d’une nouvelle initiative de coordination et de dissémination, soutenue par le sixième programme-cadre, le réseau EMF-NET.

Surprenants constats in vitro

En termes de biologie cellulaire, les effets des champs électromagnétiques auxquels nous exposent les technologies courantes (depuis les très basses fréquences des applications électrotechniques jusqu’aux radiofréquences des télécommunications) demeurent jusqu’ici une terra incognita. Pionnier en la matière, le projet européen Reflex vient de lever un coin du voile. Avec des résultats qui soulèvent de nombreuses interrogations...

Dans les recherches sur le cancer, d’innombrables investigations ont démontré les modalités génotoxiques par lesquelles les radiations ionisantes perturbent et détruisent l’univers cellulaire en rompant les liaisons chimiques de l’ADN. À cet égard, le très récent projet européen Reflex (1) s’est ainsi attaqué à combler une sorte de « trou noir » des connaissances fondamentales, jusqu’ici complètement muettes sur les éventuels effets biologiques des champs électromagnétiques usuels.

Le projet, rassemblant un consortium de douze laboratoires établis dans sept pays européens, souhaitait franchir une première étape élémentaire de vérification. Il s’agissait de mener des essais intensifs, et les plus exhaustifs possible, en soumettant in vitro différents systèmes cellulaires humains isolés (fibroblastes, lymphocytes, etc.) à toute une gamme variable d’expositions électromagnétiques. Dans un second temps, ces échantillons ont été soumis à un examen attentif pour observer si ces rayonnements avaient entraîné, au niveau cellulaire, des effets génotoxiques et phénotypiques considérés comme classiquement susceptibles d’entraîner des pathologies cancéreuses et/ou neurodégénératives.

D’indésirables ruptures d’ADN

L’effet de surprise des résultats de Reflex, dont les travaux se sont déroulés de 2000 à 2004, est l’affirmation, de façon nettement évidente et répétée, que des ruptures simples ou doubles des brins d’ADN de plusieurs systèmes cellulaires se produisent sous l’effet des champs à très basse fréquence ou des radiofréquences auxquels ils ont été exposés. En outre, ces phénomènes génotoxiques sont présents même lorsqu’on descend sous des densités de flux magnétiques ou des taux d’absorption spécifiques répondant aux normes de sécurité admises en vigueur.

« À ce stade, ces observations, dont nous garantissons le sérieux des résultats basés sur une plate-forme commune de travail entre plusieurs laboratoires, ne permettent pas de tirer de conclusions en termes de santé, souligne Franz Adlkofer, de la Verum Foundation à Munich (DE), coordinateur du projet. Les recherches que nous avons menées fournissent des indications d’ordre biologique qui concordent de façon claire et constituent une base de connaissances de départ. D’autres travaux doivent préciser des points singuliers de nos résultats – comme par exemple le fait que l’apparition des effets génotoxiques semble étroitement influencée et différente selon que l’exposition aux champs électromagnétiques est intermittente ou continue. Ainsi, à de très basses tensions, la génotoxicité n’apparaît que lorsqu’il y a intermittence tandis que, dans la gamme des radiofréquences, l’intermittence entraîne une génotoxicité plus marquée que l’exposition continue. »

Les limites de l’in vitro

« Pour en revenir au risque réel pour la santé, tout ce que l’on obtient dans des recherches in vitro n’offre aucune certitude positive ou négative sur ce qui se passe réellement dans un organisme vivant, tient à préciser le Dr Adlkofer. Les interrogations que soulèvent les résultats de Reflex doivent bien évidemment pousser à développer désormais davantage les recherches, en passant à des études in vivo sur des modèles animaux et sur l’homme. »

Interphone, la plus vaste enquête au monde

En matière de prévention des risques, l’épidémiologie – l’étude statistique des rapports entre une menace potentielle et ses effets réels sur la santé humaine – représente l’indispensable préalable à tout diagnostic sérieux. Mais pour qu’ une analyse soit possible, il faut disposer d’un minimum de recul dans le temps et s’appuyer sur des constatations suffisamment larges et significatives. Pour la téléphonie mobile, l’ambitieuse étude Interphone a été lancée dès que ces deux conditions ont été réunies. On attend avec beaucoup d’intérêt ses premières conclusions globales, qui seront la première base de connaissances d’un débat objectif de précaution sur l’utilisation du téléphone portable.

Tout commence en 1998. L’usage de la téléphonie mobile est encore très récent mais il s’avère de plus en plus évident que cette invention va s’affirmer comme une mutation à la fois technique et sociétale majeure. Le portable va concerner, de manière individuelle, des centaines de millions de personnes. Deux grandes organisations internationales, l’ICNIRP, pour la définition des niveaux de protection en matière électromagnétique, et l’Organisation Mondiale de la Santé, se sentent directement concernées par cette innovation technologique. Elles réunissent des experts mondiaux pour faire le point sur son impact potentiel. Que sait-on des conséquences et des risques possibles des radiofréquences EM engendrés par ces nouveaux appareils, placés en contact rapproché avec la tête, qui ont des propriétés très différentes de la téléphonie traditionnelle ?

À vrai dire, pas grand-chose.

Toutes les données épidémiologiques disponibles concernant l’exposition aux RF, portaient sur des populations restreintes, exposées professionnellement (applications radar, milieux médicaux, etc.), mais dans des conditions totalement différentes. Les méthodologies d’évaluation de ces risques spécifiques étaient d’ailleurs peu unifiées, disparates et ne correspondaient guère à l’analyse de cette nouvelle invention de masse.

Une méthode à inventer

« Dès cette époque, nous avons étudié la faisabilité d’une recherche baptisée Interphone, véritablement adaptée et concentrée sur un problème inédit, explique Élisabeth Cardis, directrice de l’Agence Internationale pour la Recherche sur le Cancer (AIRC) – une filiale de l’OMS dont le siège est à Lyon (France) – et coordinatrice de cette initiative. Des équipes de spécialistes, provenant de treize pays – l’enquête ne pouvait, en effet, prendre son sens que si elle était menée à une échelle très vaste pour éviter tout biais régional – sont tombées d’accord pour concentrer les recherches sur le développement de types bien spécifiques d’affections tumorales du système crânien : certaines tumeurs du cerveau (gliomes et méningiomes), les tumeurs des glandes salivaires (parotides) et du nerf acoustique (neurinomes), ainsi que les atteintes de tissus lymphatiques (lymphomes). »

Restait en second lieu à judicieusement choisir les populations étudiées par rapport à l’usage du téléphone mobile. Les contrôles ont été sélectionnés uniquement dans les zones où cette technologie s’est implantée de façon la plus précoce, de manière à avoir au minimum entre cinq et dix ans de recul. Si c’est par exemple le cas dans des parties assez étendues de l’Europe du Nord, ailleurs il a fallu se concentrer sur 4quelques grandes agglomérations qui ont été les premières équipées. De même, l’enquête Interphone s’est limitée à une classe d’âge active de 30 à 59 ans, qui est celle où les chances d’ une expérience à la fois déjà ancienne et continue avec la téléphonie portable sont les plus courantes.

Après sélection de tous ces critères, le potentiel statistique sur lequel les équipes ont commencé à travailler débouche ainsi sur un échantillon significatif : environ 6 000 personnes présentant des cas de gliomes et méningiomes (à un stade grave ou bénin), 1 000 cas de neurinomes du nerf acoustique et 600 tumeurs des glandes salivaires parotides.

Enquêtes et recoupements

Sur cette base, les chercheurs ont conduit une interrogation personnalisée et approfondie avec ces groupes témoins pour se rendre compte de la rétroactivité et de l’intensité de leur pratique de la téléphonie mobile. Des détails importants sont soigneusement notés. Peuton, par exemple, déterminer quelle est l’ oreille la plus systématiquement utilisée ? Cet élément est précieux, en particulier pour cerner l’état du système acoustique et salivaire.

Ce travail de mémoire est recoupé avec les données disponibles de facturation auprès des opérateurs de service, les caractéristiques techniques des réseaux ainsi que des appareils utilisés. Enfin, une enquête personnelle plus élargie est menée pour détecter d’ autres facteurs génétiques ou environnementaux susceptibles d’avoir interagi.

« Actuellement beaucoup d’enquêtes nationales ou régionales, finalisées ou en voie de l’être, sont rassemblées par l’AIRC, annonce Élisabeth Cardis. Quelques résultats partiels ont été communiqués par diverses équipes. Ils concluent tous à une absence d’effets, sauf un, publié par une équipe suédoise et concernant le neurinome du nerf acoustique (voir encadré « L’énigme du neurinome suédois »). Mais les résultats d’Interphone n’auront de sens que lorsqu’ils auront été analysés et validés dans leur ensemble. Cette évaluation globale ne pourra pas intervenir avant 2006. »