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Santé publique 

Pathocénose et émergence des maladies transmissibles

Jusqu’à une époque récente, l’étude historique des maladies consistait surtout à envisager leur évolution dans le temps, chaque affection étant abordée indépendamment des autres. Cette approche analytique ignorait les relations d’interdépendance entre les maladies présentes au sein d’une même population, qui peuvent expliquer l’apparition ou la disparition de certaines pathologies à certaines époques et dans certaines sociétés.

En 1969, l’historien des sciences biomédicales Mirko Grmek forgea le concept fondateur de « pathocénose ». S’appuyant sur la notion de biocénose des écologistes, il qualifie l’ensemble « des états pathologiques au sein d’une population déterminée, dans le temps et dans l’espace ». Il postule en outre que la fréquence et la distribution de chaque maladie dépendent notamment de la fréquence et de la distribution des autres maladies présentes dans la société. Il existerait donc des relations complexes et dynamiques entre les maladies qui peuvent être de nature symbiotique, antagoniste ou d’indifférence.

Ces interactions tendraient, en outre, vers un état d’équilibre dans une situation écologique stable. Toutefois, cet équilibre pathocénotique n’est pas immuable, une perturbation, des conditions environnementales par exemple, pouvant troubler l’équilibre préexistant entre les maladies, engendrant une nouvelle pathocénose. Ainsi, la distribution des maladies dans une population peut varier dans le temps, de manière graduelle ou brutale, pour des raisons d’ordre biologique, social ou environnemental.

Des maladies exemplaires

Combinant écologie, virologie, épidémiologie, mathématique et entomologie, le programme Pathocénoses et émergence des maladies transmissibles : un concept unificateur mis à l’épreuve sur des pathologies exemplaires étudie des maladies ayant une ou plusieurs caractéristique de l’émergence, en France, en Thaïlande et en Tunisie. Les caractéristiques exemplaires de l’émergence peuvent être l’apparition d’un germe nouveau pour la science, la contamination de domaines ou de populations jusque-là vierges de l’infection, une résurgence après une période de silence exceptionnel, une épidémisation rapide et inaccoutumée...

Ce projet financé par l’ANR étudie la dynamique de transmission des agents infectieux, l’expression de l’infection chez les individus (hommes et animaux) et celle des patrons épidémiques dans une population et sur un territoire donnés. Il s’intéresse aux hantaviroses, à la maladie de Carré chez le lion Panthera 1eo (sur des données issues d’ Afrique du Sud), à la maladie virale hémorragique et myxomatose chez le lapin en France, à la dengue et encéphalite japonaise en Thaïlande et enfin, à la leishmaniose en Tunisie.

Chaque maladie étudiée permet d’illustrer des mécanismes originaux. Les hantaviroses, par exemple, sont causées par des virus de la famille des Bunyaviridae, lesquels sont hébergés par des rongeurs et sont responsables des fièvres hémorragiques à syndrome rénal à travers toute l’Eurasie et des hantaviroses à syndrome pulmonaire sur le continent américain. L’étude de ces pathologies cherche notamment à comprendre par quels mécanismes la maladie émerge chez l’homme dans des zones restées indemnes jusque-là, alors que l’espèce réservoir (un rongeur) y était présente.

Les leishmanioses, pour leur part, constituent un système modèle pour l’étude des facteurs déterminants de l’issue de l’infection par un agent infectieux. En effet, Leishmania major, l’agent infectieux responsable de la leishmaniose cutanée zoonotique, peut indifféremment provoquer une forme asymptomatique, simple ou sévère de la maladie. La myxomatose chez le lapin, comme les leishmanioses chez l’homme, constitue un système modèle pour étudier les mécanismes qui sont à l’origine d’un impact plus ou moins important de l’agent infectieux tant à l’échelle individuelle qu’à l’échelle populationnelle.

La notion d’hétérogénéité des souches du virus responsable de la maladie virale hémorragique chez le lapin, en termes de virulence mais aussi de protection immunitaire croisée entre les souches, est fondamentale et sert de modèle pour comprendre le rôle de l’immunité croisée dans le maintien et la sélection des souches. Cela permettra, in fine, d’expliquer les variations en termes de morbidité/mortalité induites par le virus.

Dans le cas de la maladie de Carré chez le lion, la recherche met l’accent sur les émergences de maladies dues à des agents infectieux déjà présents chez l’hôte, c’est-à-dire sur la subite réémergence d’infections anciennes. Ce cas n’est pas isolé et le concept de virus « ancien » vis-à-vis de maladies nouvelles est utile à la recherche des facteurs de changement d’expression d’un agent infectieux.

La fièvre dengue est étudiée sous des aspects particuliers comme la signification, en termes de patron épidémique, de la circulation des différents sérotypes des virus de la dengue, et comme pour la maladie hémorragique du lapin, le rôle des antigénécités croisées intra- et extraspécifiques.

L’encéphalite japonaise, quant à elle, interfèrerait avec les virus de la dengue en provoquant une réaction immunitaire qui protège, dans une certaine mesure, d’une infection secondaire par les virus de la dengue. Enfin, le virus de cette maladie présente cinq génotypes différents qui circulent dans le Sud-Est asiatique mais pour lesquels aucun patron épidémiologique spécifique n’a encore pu être identifié.

La première phase du projet a identifié les situations pathologiques en regard d’une pathologie exemplaire, les populations et espèces concernées ainsi que le pas de temps et l’échelle pertinente.

La seconde phase vise à dégager, par la confrontation de situations similaires, des mécanismes agissant sur l’ensemble de la communauté hôtes / agents infectieux et, in fine, à définir une pathocénose dans un lieu et une population donnés, sur une période de temps déterminée. La troisième phase élargira le champ des recherches vers une approche explicative de l’émergence perçue comme rupture (ou déséquilibre) de la pathocénose.

Seule l’approche transdisciplinaire des facteurs de persistance ou d’émergence des maladies permet d’ expliquer les mécanismes à l’ origine d’un changement de pathocénose.